La Route des Mouettes

Agriculture de conservation

J'ai essayé toutes les marques !

Le semis direct permet d'implanter une culture sans labourer, en travaillant le sol juste sur la ligne de semis. De plus en plus d'agriculteurs français adoptent cette technique pour économiser de la main d'œuvre, du carburant... C'est aussi parfois la seule solution pour exploiter des parcelles historiquement en prairie. Au Portugal, où des aides agro-environnementales ont favorisé le développement de cette technique, comment les portugais font pour semer sans travailler le sol dans des terres « difficiles » ?

« Mon semoir a tellement changé… je ne sais plus comment il était quand je l'ai acheté ! », Maria Gabriela CRUZ, présidente de l'association de l'Agriculture de Conservation du Portugal, APOSOLO, regarde son semoir John Deere. « Pour le semis direct, j'ai essayé toutes les marques… aucun semoir n'a été satisfaisant. Avec l'argile et le mulch (résidus des couverts précédents), c'est difficile de trouver le bon compromis. » Nous sommes au Portugal, dans la région d'Elvas, proche de la frontière espagnole. L'exploitation agricole est sur deux sites. Le premier couvre une surface de 180 ha, le second 230 ha. Toute la ferme est conduite en sans labour depuis 10 ans. Nous sommes sur le premier site, devant un semoir pour semis direct, de 6 mètres de large, dont la couleur jaune et vert nous informe sur le constructeur d'origine. Un disque ondulé (pour découper des résidus de matière organique) suivi d'une dent type chisel sans patte d'oie (pour ameublir le sol sur 10 cm) ont été notamment ajoutés sur chaque ligne de semis.

Mon père produisait du riz.

« Je fais du maïs sur maïs, je n'ai pas le choix ».  Le sol est de type alluvionnaire, pauvre et composé de graviers plus ou moins grossiers. Mais ce qui pose problème, c'est la couche d'argile qui se trouve à 25-30 cm de profondeur. Les nombreux pivots d'irrigation couvrant jusqu'à 60 ha par pivot et alimentés par un barrage proche témoignent de la faible pluviométrie : 400 mm par an à Elvas. Les rares précipitations sont très irrégulières (à partir d'octobre jusqu'en mars) et souvent très importantes (plus de 30 mm par évènement pluvieux). L'eau se trouve donc bloquée assez rapidement par cette couche imperméable. « Ici, mon père produisait du riz. J'ai arrêté, car les consommateurs ne veulent que du Basmati. » 

Pour semer du maïs, la période favorable est estimée à deux trois jours. Il convient bien sûr d'attendre que le sol se ressuie, mais pas seulement. Il doit se réchauffer. Nous voici devant un décompacteur à dents droites, lui aussi bricolé, adapté par le salarié agricole, d'après les réflexions de l'agricultrice, « Il vient d'Ohaio. Lors d'une démonstration, j'avais emmené mon père. Ce dernier n'était pas descendu de la voiture qu'il s'est écrié : ça, c'est fait pour nous. » Grâce aux dents droites, tels des couteaux dans du beurre, la couche plastique et imperméable est ouverte en profondeur, sous la traction d'un 240 cv. L'eau s'évacue donc facilement ; l'air rentre, séchant, oxygénant et réchauffant les fissures ainsi créées. Le semoir repassera dans le passage exact de cet outil, à partir de mai, période à partir de laquelle les semis pourront en effet débuter.

 

Modifications sur le semoir John Deere.

Pourtant Maria Gabriela CRUZ ne désespère pas de trouver le semoir idéal pour ses terres. De retour au bureau, elle nous montre une photo d'un autre semoir. « C'est ce système qu'il me faudrait, d'un point de vue agronomique. Il y a tout ». Economiquement, cela permettrait en effet d'économiser un passage, coûteux en carburant. Le "tout en un" lui pose quand même un problème, la terre ne sera pas réchauffée avant... Retour à la case départ. « Cette année, je ferais du maïs OGM. J'ai lu que les distances de 200 mètres, dans une étude de Sciences et Vie, étaient une bonne garantie. Les rendements seront nettement meilleurs, je m'en sortirais mieux.»

Depuis les années 90, le Ministère de l'Agriculture portugais se mobilise pour résoudre de gros problèmes d'érosion. Depuis 2001, l'association APOSOLO ne dispose pas de beaucoup de moyens, même si elle est reconnue nationalement pour ses conseils en cultures annuelles et pérennes telles la vigne et les oliviers. « Nous rencontrons des difficultés. Les aides agro-environnementales pour aider les agriculteurs à faire du sans labour viennent de s'arrêter. Le cours du blé remonte. Les surfaces en betteraves sucrières diminuent. Mes voisins abandonnent la technique.» Pourtant, la grosse pluie (30mm) de la nuit dernière montre déjà des dégâts : de grandes nervures zèbrent certaines parcelles fraichement travaillées, les chemins sont remplis d'une eau terreuse : toute la bonne terre.

 

Maria Gabriela CRUZ réussi à améliorer la teneur en matière organique du sol grâce à un mulch épais, mais l'implantation de cultures intermédiaires, l'utilisation d'herbicides racinaires sont difficiles à réaliser.

Face aux mêmes dilemmes que rencontrent les agriculteurs français, lors d'une intervention en août dernier, au Festival du Non Labour près d'ARRAS, un agriculteur du DAKOTA avait cette réflexion « J'ai constaté qu'il faut respecter le climax de son exploitation : combinaison entre le climat et les végétaux naturellement présents. Moi, c'est facile de faire du blé en semis direct, à l'origine le Dakota était une vaste prairie. Vous, les français, vous viviez dans la forêt… » La solution pour Maria Gabriela CRUZ ne serait-elle pas de refaire du riz (complet et bio par exemple puisque le marché est porteur)… en semis direct ?

 

 « Je suis sur une "île portugaise" ».

A moins d'un kilomètre, le soleil fait miroiter une rivière. L'Espagne est de l'autre côté. L'effet frontière a de grosses conséquences sur la production agricole d'Elvas. Avec une croissance économique de 6.5 % contrairement au Portugal qui dépasse tout juste les 2 %, les investisseurs espagnols et même hollandais font monter les prix du foncier. Ici subsistent des billons de terre où des tomates laissées après la récolte rougissent le sol ; là des oliviers maigrelets, plantés à un mètre de distance pour récolter plus vite, mécaniquement, contrastent avec les milliers de oliviers traditionnels aux troncs torturés mais robustes aperçus en chemin ; nectarines, plantées il y a deux ans par un grand groupe agro-alimentaire, auxquelles le goutte à goutte « nourricier » a garanti une croissance fulgurante de deux mètres cinquante de haut ; ferme laitière hollandaise de plus de deux cents vaches … Ainsi, plusieurs des pivots d'irrigation tournent à moitié chez Maria Gabriela CRUZ. « Je pensais que mon voisin aurait le sens du pays, qu'il me céderait ses terres… mais non, l'offre espagnole était trop belle. »

Oliviers, distants de 1 m, avec goutte à goutte. Est-ce encore le symbole de la Paix ?

 

Résistance au Round Up.

Dans la seconde partie de l'exploitation (280 ha), Gabriela Cruz rencontre un autre problème majeur : la résistance d'une mauvaise herbe au Round Up. « Regardez ce n'est plus une herbe, c'est un arbre ! » Devant nous se dresse de façon presque provocante, une plante à la tige ligneuse : Malvas. Une autre plante est devenue une véritable peste végétale : Coniza Canadensis, une composée. L'herbicide total appliqué depuis une dizaine d'années a des ratés. En fait, lors d'un traitement (herbicide ou autre), une partie infime de la population visée est naturellement résistante. La multiplication des traitements avec le même mode d'action (et encore plus rapidement si c'est le même produit) crée ce que l'on appelle une pression de sélection : seuls les individus résistants restent et se développent. Quelle solution ? Le labour, les successions de cultures plus diversifiées… Le choix ne sera pas facile pour cette « puriste », mais amène une réflexion plus globale sur la technique : utiliser le labour pour ses fonctions « herbicides » occasionnellement… ne serait-ce pas plus durable (gestion des résistances, biodiversité, qualité de l'eau, de l'air…) ? 

  

Coniza Canadensis a envahi les parcelles, suite à une résistance au Round Up (photo de gauche source Internet ; photo droite source personnelle, Elvas nov. 2007).

Autre plante résistante au Round Up : Malvas.



03/01/2008

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